Abdelkrim Mekfouldji

Après la victoire, joie et allégresse en Algérie

Toute l’Algérie était rivée aux écrans de télévision, à la maison ou sur les terrains, pour suivre les Fennecs durant la finale de la Coupe d’Afrique des nations 2019. Suspense jusqu’à la dernière minute du temps mort au Cairo Stadium puis délivrance !

Joie et allégresse ont fait sortir toutes les familles dans les rues, et Blida ne faisait pas exception ! Impossible de circuler dans les artères de la ville : la population était dehors et les rues ne suffisaient plus à contenir les fans de l’équipe nationale algérienne. Les poulains de Belmadi pouvaient être fiers de cet engouement et heureux d’avoir pu donner de la joie à plus de 40 millions de citoyens.

Tous les âges étaient représentés au stade Daïdi de Blida où les responsables commençaient à préparer dès 14h l’installation de l’écran géant devant retransmettre le match Algérie – Sénégal. Les paris allaient bon train et nombre de supporters parlaient de la crainte d’une revanche des coéquipiers de Mané.

Les jeunes se coloriaient les joues. Ph. Mekfouldji
Masques et tatouages. Ph. Mekfouldji

Le but de Bounedjah, survenu très tôt, dès la deuxième minute, a permis de tranquilliser les supporters mais l’angoisse devint intenable après 30 minutes de jeu. Il fallait un second but pour se mettre à l’abri, mais les Sénégalais monopolisèrent le ballon et le gardien M’boulhi dut étaler sa classe pour préserver ses bois. L’arbitre camerounais envoya les joueurs aux vestiaires, permettant ainsi aux Fennecs d’accrocher la seconde étoile, vingt-neuf ans après la première remportée à Alger même avec les Madjer, Belloumi, Assad…

Feux d’artifice, klaxons, sifflets, cris, lumières vives : les rues d’Algérie donnèrent à voir toute la joie d’un peuple partagé entre la crise politique et la victoire continentale. Un père criera : « J’ai marché à 14h pour le Hirak, le changement politique, et je marche la nuit pour la victoire ! » Il n’arrêtait pas de klaxonner, criant et gesticulant tout en conduisant son véhicule où s’entassait toute sa famille. Les jeunes se coloriaient le visage aux couleurs des Verts, chantaient et dansaient, oubliant pour un temps le chômage, la malvie. Mahrez, Bennacer, M’boulhi étaient passés par là, transmettant cette fibre patriotique et ces élans de joie.


La finale de la CAN, match poudrière ou incendie pour l’Algérie ?

Faut-il craindre que la finale de la CAN soit jouée ce vendredi, jour de Hirak, ce mouvement de révolte pacifique des Algériens qui manifestent tous les vendredis ?

L’Algérie a la fièvre du foot. L’Etat mobilise ses moyens pour envoyer des milliers de supporteurs au Caire voir les Fennecs affronter le Sénégal. Un véritable pont aérien avec pas moins de 36 avions prévus, et ce nombre ne cesse d’augmenter. Dans ce convoi, il y a neuf avions de l’armée algérienne. L’homme qui dirige la lutte contre les politiciens corrompus n’est autre que le Chef d’état-major, Gaïd Salah. Pour ce dernier, la victoire est impérative afin de servir davantage sa prise de pouvoir déguisée. Une victoire des Fennecs, détournant l’attention des Algériens, serait salutaire pour le régime de transition.

Partout à travers le pays, les stades font office de rassemblements des supporteurs, devant des écrans géants qui vont retransmettre la finale. On n’a aucune idée du coût global, mais les hommes sensés n’hésitent pas à rappeler que lors des dernières inondations au Sud du pays, le ministère de l’Intérieur n’avait pas envoyé d’avions pour le transport des secours, au motif qu’il était quasiment impossible les premiers jours de mobiliser de tels moyens.

Les agences de voyage sont prises d’assaut depuis la qualification en finale, avec une seule destination demandée : Le Caire. Des centaines de jeunes errent à travers les larges avenues de Blida et d’autres villes, quémandant une place pour la capitale égyptienne. Toutes les couches sociales sont impliquées, tous les âges, hommes et femmes ! Les résultats du bac sont publiés ce jeudi et des milliers de candidats auraient aimé partir également, filles comme garçons.

Belmadi président ?

Il faut dire que cette occasion de se réjouir fait beaucoup de bien. Des anciens ministres et premiers ministres, comme Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal, se trouvent depuis peu en prison pour corruption caractérisée. Le simple citoyen montre du doigt cette « assabiya », mafia en arabe, qui a détourné en cinq ans de mandat de l’ex président Bouteflika pas moins de 1500 milliards d’euros. Sans parler des terres agricoles détournées à leurs profits et celui de leurs parents. Alors, voir son équipe en finale pour la première fois depuis 29 ans…

Les manifestations de joie des supporteurs algériens à travers le monde n’ont pas laissé insensibles les camarades de Baghdad Bounedjah, qui ont promis de ramener le trophée en Algérie. Le pays parle maintenant de donner des responsabilités politiques au sélectionneur Djamel Belmadi et ses poulains, eux qui ont prouvé sur le terrain leur amour du pays.


En Algérie, la protestation politique éclipse la CAN

Dimanche 23 juin, l’Algérie a remporté son premier match de Coupe d’Afrique des nations, deux buts à zéro, face au Kenya. Mais dans les grandes villes du pays, la politique fait plus parler que le football africain.

Ce billet a été originellement publié sur blidalgerie.mondoblog.org.

Les Fennecs ont réalisé une entrée sans encombre dans la compétition. Les Algériens ont battu les Kenyans facilement. Mais à travers les rues de Blida et d’Alger, les discussions étaient ailleurs. La fête était à la lutte contre la corruption.

Un record mondial a été atteint en Algérie avec pas moins de cinq anciens premiers ministres entendus par la justice. Deux d’entre eux ont été écroués : messieurs Ouyahia et Sellal. L’objectif est de nettoyer tout le terrain politique de ces magnats. On parle quand même de 50 000 milliards de dinars algériens, soit 500 milliards d’euros. En tout, pas de moins de douze personnalités sont impliquées. De quoi largement former une équipe de football, avec des remplaçants. 

El Harrach passionne plus que Le Caire


Chaque vendredi, le « hirak » continuer à réclamer la fin du système algérien. Le mouvement en est à sa 18e journée de protestation, avec toujours le même slogan : « DÉGAGE ». Cela vaut aussi pour le chef d’état-major Gaïd Salah, qui ne cesse de se mêler de politique, même si on lui reconnaît la paternité du démarrage des éliminations des gens du système.

L’actualité algérienne est indéniablement dominée par cet aspect de la vie au quotidien, quelque peu loin de la CAN 2019. Même si plusieurs dizaines de supporters, surtout venant de France et d’Allemagne, ont fait le déplacement au Caire et sont heureux de fêter la première victoire de leur équipe. Alors l’oreille reste suspendue aux résultats des poulains de Belmadi et des coéquipiers de Mahrez, mais la priorité demeure : « À qui le tour de prendre le chemin des quatre hectares ? » (synonyme de la prison d’El Harrach, dans la banlieue d’Alger).
La victoire contre le Kenya n’était que la cerise sur la gateau pour tout ce peuple épris d’honnêteté politique.

Crédit photo : Abdelkrim Mekfouldji